Fake news : « L’initiative doit venir des géants du Web »

LE MONDE – Le professeur en droit européen Alberto Alemanno estime que rien ne sert d’employer la loi contre les fausses informations. Sous la pression de l’opinion, des sociétés comme Facebook peuvent adopter des dispositifs qui contrebalancent l’effet de la désinformation.

Dans une tribune au « Monde », le professeur en droit européen Alberto Alemanno estime que rien ne sert d’employer la loi contre les fausses informations. Sous la pression de l’opinion, des sociétés comme Facebook peuvent adopter des dispositifs qui contrebalancent l’effet de la désinformation.

Les propositions d’Emmanuel Macron pour lutter contre les « fake news »

Sanctions

Le 3 janvier, lors de ses vœux à la presse, Emmanuel Macron a annoncé son intention de faire adopter avant la fin de l’année une loi contre les fausses informations en période électorale. Le président juge que l’actuelle amende de 45 000 euros prévue par la loi de 1881 ne suffit pas. Selon lui, la justice doit pouvoir agir après avoir été saisie en référé afin, éventuellement, d’obtenir le retrait d’articles fallacieux, la désindexation par les moteurs de recherche du site en cause et la fermeture du compte utilisateur coupable. L’accès au site pourrait même être bloqué.

Transparence

Le texte devrait également prévoir une plus forte obligation de transparence pour les sites Web, qui devront rendre publique l’identité des auteurs et responsables de contenus payés. Les montants versés pour ce type d’article seront limités. Les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel seront par ailleurs étendus afin de lutter contre toutes formes d’ingérences et de déstabilisations de la part de chaînes de télévision sous contrôle d’Etats étrangers.

Pratiques

Emmanuel Macron a également invité la profession journalistique à une réflexion sur ses pratiques. A cet égard, il s’est félicité de « la démarche de Reporters sans frontières d’inventer une sorte de certification des organes de presse respectant la déontologie du métier », qui lui « paraît intéressante et souhaitable ».

Emmanuel Macron est le dernier leader politique en date à se lancer dans le combat contre les fausses nouvelles, plus communément appelées sous les termes anglais de « fake news ». Les régulateurs semblent en effet perdre patience, et promettent d’arrêter la prolifération de la désinformation en ligne.

Le président de la République a annoncé le dépôt prochain d’un projet de loi qui inclurait, entre autres, des obligations de transparence visant à révéler l’identité des personnes ou entités qui sponsorisent la diffusion de contenus en ligne, et permettrait notamment au gouvernement de faire disparaître des « fake news » de la Toile, voire même de bloquer des sites Internet en période de campagne électorale. Ce n’est pas une bonne idée.

L’action en référé proposée donnerait la possibilité à un gouvernement en place d’agir en justice en période électorale en vue de limiter la liberté d’expression de ses opposants, qu’il s’agisse de celle des citoyens sur leurs blogs ou de journalistes accrédités dans leurs journaux. Pire, une approche coercitive manquera presque à coup sûr sa cible.

Dès leur première apparition, le mal est fait

Les groupes de travail « anti-fake news » tels que l’EU Mythbusters de l’Union européenne, et les dispositifs d’alerte aux fausses informations tels que First Draft, en partenariat avec différents médias, dont Le Monde, ont montré qu’il est possible de combattre les fausses nouvelles en faisant du fact-checking, ou de la « vérification des faits ». Toutefois, le problème avec les fausses informations n’est pas tellement leur présence continue sur la Toile, mais leur première apparence sur celle-ci. En d’autres mots, aussitôt que la fausse information est en ligne, le mal est fait.

Faire appel à un juge des référés – l’action la plus rapide possible dans notre système judiciaire – aboutira toujours à une décision trop tardive. L’expérience montre d’ailleurs que cela pourrait même avoir un effet inverse à celui souhaité : qualifier une nouvelle de fausse, et par là même lui donner une plus grande publicité, lui donne un bon coup de pouce et élargit encore sa diffusion.

La désinformation en ligne est un phénomène complexe que les régulateurs se doivent encore de maîtriser réellement. Il semble trop tôt pour créer des règles qui soient efficaces.

Un phénomène devenu omniprésent

Les fausses nouvelles sont le symptôme de problèmes structurels plus profonds dans nos sociétés et environnements médiatiques. Pour les contrer, les politiciens européens ont besoin de prendre en compte les mécanismes sous-jacents qui s’autorenforcent, qui font de ce vieux phénomène quelque chose de si omniprésent aujourd’hui. C’est seulement en prenant un peu de recul accompagné d’une prise de conscience de l’opinion publique que l’on pourra identifier et comprendre les faiblesses sociétales que ces « fake news » exploitent.