Covid-19 : six questions sur le passeport sanitaire
LE MONDE – Emmanuel Macron a détaillé le calendrier de la levée des restrictions en France, dans lequel le passe sanitaire est mentionné à plusieurs reprises.
Emmanuel Macron a détaillé, jeudi 29 avril, le calendrier de la levée des restrictions en France, dans lequel le passe sanitaire est mentionné à plusieurs reprises.
Après avoir hésité, le gouvernement français a décidé de mettre en place un passe sanitaire pour accéder à des stades, des concerts, des foires, des salons… Emmanuel Macron a détaillé, jeudi 29 avril, le calendrier de la levée des restrictions en France, dans lequel le passe sanitaire est mentionné à plusieurs reprises.
Ce dispositif, qui atteste qu’une personne a été vaccinée, diagnostiquée négative ou encore rétablie récemment, est expérimenté au départ de certains vols à destination de la Corse. La France emboîte ainsi le pas à d’autres pays, comme le Danemark, Israël ou la Corée du Sud. L’Union européenne a, elle aussi, prévu de se doter de son propre passeport sanitaire, à la mi-juin, compatible avec celui développé en France.
Ce projet pose de nombreuses questions, tant du point de vue de sa faisabilité à l’échelle européenne que de son efficacité d’un point de vue sanitaire. Le tour du sujet en six questions.
1. A quoi pourrait ressembler un passeport sanitaire ?
Traditionnellement, un passeport est un document délivré par l’administration d’un Etat attestant de l’identité et de la nationalité d’une personne. Dans le cadre de la pandémie, il pourrait s’agir d’un ou plusieurs documents attestant qu’une personne ne risque pas (ou risque moins) d’être contaminée ou de contaminer d’autres personnes.
Concrètement, il pourrait s’agir d’un « datamatrix » semblable à un code-barres ou à un code QR, qui serait intégré dans la fonction « carnet » de l’application TousAntiCovid (mais pourrait être imprimé pour ceux qui n’ont pas de smartphones), vérifié par les douaniers ou les personnes chargées des contrôles.
En mars, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait avancé plusieurs critères, qui ont été repris par les autorités françaises :
- une vaccination ;
- en cas d’impossibilité de vaccination, un test négatif récent au Covid-19 ;
- la présence d’anticorps pour une personne qui aurait déjà été infectée par le virus.
Une telle démarche n’est pas nouvelle : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a ainsi mis en place un « carnet jaune », un certificat de vaccination exigé à l’entrée de plusieurs pays d’Afrique. « Ce type de certification a été utilisé dans le passé – par exemple, avec la fièvre jaune –, et il n’est pas déraisonnable de l’utiliser à l’avenir pour d’autres maladies contagieuses, y compris le Covid-19 », rappelle Françoise Baylis, spécialiste d’éthique scientifique et médicale et professeure de philosophie à l’université Dalhousie, à Halifax (Canada).
Dans la course au sésame pour retrouver une liberté de mouvement, certaines organisations, particulièrement concernées, ont pris un temps d’avance par rapport aux Etats et aux institutions internationales. L’Association internationale du transport aérien (IATA), a par exemple lancé, en novembre, le « Travel Pass », permettant d’éditer l’équivalent d’un passeport sanitaire, en rassemblant l’ensemble des documents exigés selon le lieu de destination. Une initiative concurrente, « AOK Pass », est testée par Air France depuis le mois de mars, pour les tests PCR de moins de soixante-douze heures, demandés pour aller aux Antilles.
2. Quelle est la position française sur un tel dispositif ?
Dans un premier temps, les autorités françaises se sont montrées assez frileuses concernant ce projet. Clément Beaune, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, avait estimé en début d’année que la discussion était « très prématurée ». « Aujourd’hui, on ne peut pas donner plus de droits à certains qui ont été vaccinés qu’à d’autres qui ne le sont pas encore parce que tout le monde n’a pas encore accès à la campagne de vaccination. Ce serait injuste et paradoxal », affirmait-il sur BFM-TV le 22 janvier, au lendemain d’une discussion entre les vingt-sept pays membres de l’Union européenne (UE).
Dans un second temps, la saison estivale approchant et les variants du Covid-19 circulant intensément, le gouvernement français s’est montré prêt à travailler sur la question. « Pour le moment, on observe ça de loin. Il nous manque des réponses : le vaccin permettra-t-il d’éviter les contaminations ? Quelle sera la durée de l’immunité obtenue ? Et puis, il faut évidemment que le débat soit concomitant avec la possibilité d’avoir accès au vaccin pour tous. Mais l’idée s’imposera », juge-t-on actuellement à Matignon.
Signe que l’idée a fait son chemin, l’article 1er du projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire, présenté le 28 avril en conseil des ministres, prévoit que puisse être imposée par décret à toute personne entrant ou sortant du territoire national la présentation d’un test de dépistage négatif, d’une attestation de vaccination ou d’un document attestant d’un rétablissement après avoir contracté le Covid-19.
La France doit faire partie, avant la fin du mois de mai, d’une première expérimentation du certificat européen menée avec d’autres pays – la participation de l’Allemagne et de l’Espagne est évoquée.
3. Quels pays soutiennent ce projet ?
La Grèce a été la première en Europe à se prononcer en faveur d’un tel système. En attendant qu’il voie le jour au niveau international, le pays négocie des accords bilatéraux, avec d’autres pays, extracommunautaires – les Israéliens peuvent ainsi se rendre librement en Grèce s’ils sont immunisés… « Même si nous n’allons pas rendre la vaccination obligatoire ou en faire une condition préalable en cas de déplacement, les personnes vaccinées devraient être libres de voyager », a écrit le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, à Mme von der Leyen mi-janvier.
Plusieurs autres pays du sud de l’Europe dont les économies sont très dépendantes des revenus du tourisme, comme l’Espagne, Malte ou le Portugal, ont également soutenu l’initiative. A ces pays s’ajoutent la Belgique et la Hongrie, qui ont émis des signaux favorables, mais aussi la Pologne, le Danemark, la Suède et l’Estonie, qui expérimentent différents dispositifs. Par exemple, Copenhague et Stockholm ont annoncé la mise en place de certificats électroniques destinés aux voyages à l’étranger de leurs concitoyens.
De son côté, la France est restée prudente, négociant avec ses partenaires européens pour se mettre d’accord sur des règles techniques de certification de la vaccination, mais dans le même temps s’accorder sur un système qui ne rende pas le vaccin obligatoire. S’« il était alors question d’un certificat vaccinal, il s’agit maintenant d’un certificat sanitaire. Et ce n’est pas jouer sur les mots », détaille Clément Beaune, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes.
4. Un passeport sanitaire est-il possible juridiquement ?
Un certificat d’immunisation pourrait être considéré comme une entrave à la libre circulation des personnes dans l’Union. « Mais dans un contexte de crise sanitaire, il permettrait en réalité de faciliter la circulation de ceux qui sont vaccinés, immunisés ou testés négatifs (donc conforme à l’objectif de l’article 26 du TFUE [Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne], qui est d’assurer les libertés de circulation), et permettrait d’améliorer ou préserver la santé humaine (article 168 § 1 du TFUE) », avance Vincent Couronne, auteur d’une thèse sur les compétences des Etats membres de l’Union européenne et membre du collectif de chercheurs en droit Les Surligneurs. En revanche, la Commission ne peut rien imposer en la matière – raison pour laquelle la demande vient du Conseil européen, nuance le juriste.
L’autre écueil, que reconnaît la Commission elle-même, réside dans la difficulté d’accès au vaccin, qui crée donc un effet d’exclusion, et donc une inégalité entre citoyens. En attendant que le vaccin devienne largement accessible, une solution temporaire est en effet, comme l’a proposé Bruxelles, de faire reposer la liberté de circulation sur d’autres éléments, par exemple des tests négatifs ou la présence d’anticorps, qui atténuent immédiatement le caractère discriminatoire, ajoute son confrère Jean-Paul Markus, professeur de droit public.
5. Un passeport sanitaire serait-il sanitairement efficace ?
Un passeport sanitaire repose sur l’hypothèse que les vaccinés ne soient plus contagieux s’ils venaient à recroiser le SARS-CoV-2, et se propose de certifier cet état de fait. Or, à l’heure où ces lignes sont écrites, il n’existe aucune certitude concernant la capacité des vaccins commercialisés actuellement à rendre 100 % des vaccinés sans danger pour autrui.
« Les données scientifiques actuellement disponibles suggèrent que si les vaccins contre le Covid-19 arrêtent les symptômes, ils ne stoppent pas entièrement la transmission du virus et ne font que la ralentir. Par conséquent, la justification scientifique qui sous-tend cette proposition semble discutable », affirment ainsi Alberto Alemanno et Luiza Bialasiewicz, spécialistes en études européennes, dans une tribune publiée par Le Monde.
En effet, les essais cliniques menés par les laboratoires sur leur vaccin n’ont pas été expressément conçus pour savoir si ces vaccins bloquaient la transmission du SARS-CoV-2 dans le cas où les vaccinés viendraient à le rencontrer. Les données scientifiques s’accumulent depuis quelques mois et suggèrent que les vaccins réduisent grandement la contagiosité des porteurs du virus, mais pas entièrement. L’essai clinique de phase 3 du vaccin américain Moderna montrait déjà, en novembre 2020, une réduction de deux tiers des infections asymptomatiques après l’injection de la première dose du vaccin. Celui piloté par AstraZeneca et Oxford sur leur vaccin a abouti à une chute de 49,3 % de ces infections sans symptômes.
Plusieurs équipes israéliennes travaillent sur cette question, et l’une d’entre elles a aussi mis en évidence une très forte réduction (– 75 %) de la charge virale chez les personnes vaccinées depuis au moins deux semaines, suggérant que leur contagiosité a nettement diminué. Or une charge virale moindre indique que le virus s’est moins répliqué dans le nez en infectant son hôte, et donc que celui-ci en expulse une moindre quantité dans l’air, diminuant d’autant le risque de contaminer ceux qui croiseront sa route.
Il existe déjà des données significatives et toutes les raisons biologiques pour penser qu’ils concourront à drastiquement diminuer la contagiosité des vaccinés. Mais il est aussi à peu près certain que cela ne concernera pas 100 % de ceux-ci. Une partie des vaccinés (entre 5 % et 15 %, selon les vaccins et les profils) développent encore des symptômes légers lorsqu’ils sont infectés après vaccination et pourraient transmettre le virus. Une certification de vaccination ne peut dès lors pas apporter une garantie sanitaire totale, et seules des investigations plus approfondies permettront d’estimer la part réelle des vaccinés en état de transmettre le virus. Savoir si un tel niveau de protection est acceptable ou non relèvera ensuite d’un débat politique entre les membres de l’Union européenne.
6. Quels sont les risques liés à un tel dispositif ?
La question du secret médical resurgit avec acuité quand l’on débat d’un tel dispositif : « S’il existe actuellement un fichier dédié [appelé VAC-SI], les finalités définies par le texte réglementaire qu’il encadre ne prévoient absolument pas son utilisation pour limiter le déplacement des individus », rappelle Yoann Nabat, doctorant en droit privé et sciences criminelles à l’université de Bordeaux.
Il serait théoriquement possible de revenir au bon vieux carnet de santé individuel. Mais on s’expose alors à une absence de sécurisation et à l’apparition de faux, comme c’est déjà le cas pour les tests PCR… voire à un véritable marché noir des certificats, notamment dans l’univers des Européens très mobiles que sont les expatriés ou les travailleurs détachés. L’une des solutions possibles pourrait sinon être un système de couleur (rouge ou vert, par exemple) indiquée sur le terminal des personnes chargées des contrôles, plutôt que les informations elles-mêmes.
Alors que sa capacité à endiguer l’épidémie n’est pas démontrée, un passeport sanitaire risque donc de mettre ses concepteurs face aux inégalités de vaccination, entre les Etats et au sein même des Etats.
Outre le “tri” des Européens en fonction de leur résidence territoriale, il existe aussi des différences importantes entre les Etats membres quant à leur stratégie de vaccination.
M. Alemanno et Mme Bialasiewicz