L’agenda politique de la Commission européenne semble plus aligné sur les demandes de l’extrême droite que sur celles promises aux pro-européens
LE MONDE – Alberto Alemanno discusses how far-right parties influence the political agenda of the new European Commission.
La nouvelle Commission européenne pourrait davantage s’aligner sur les demandes de l’extrême droite que sur celles promises à l’alliance qui la soutient, s’inquiète le spécialiste de l’Europe Alberto Alemanno dans une tribune au « Monde ».
Les résultats des européennes de juin ont soulagé de nombreux observateurs. Malgré la forte poussée de l’extrême droite, les élections ont maintenu la majorité de l’alliance pro-européenne menée par les partis de centre droit, centre gauche et les libéraux – qui ont gouverné l’Union européenne (UE) cette dernière décennie. Il est attendu que cette alliance vote en faveur d’une nouvelle Commission von der Leyen d’ici à la fin de l’année 2024, avec l’objectif déclaré de rendre l’économie européenne plus verte, plus compétitive et plus sûre
Mais, derrière cette apparence de stabilité, le pouvoir politique européen fait face à une réalité préoccupante bien différente. Le nouveau Parlement européen est le plus à droite de l’histoire, avec une majorité des députés issus du Parti populaire européen (PPE) et de l’extrême droite – c’est-à-dire du groupe Conservateurs et réformistes européens (ECR), comprenant Fratelli d’Italia, le parti de la présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, mais aussi de Reconquête, le parti d’Eric Zemmour, et des Démocrates de Suède –, des Patriotes pour l’Europe (P4E) menés par Marine Le Pen et Viktor Orban et du groupe L’Europe des nations souveraines mené par le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD).
Le panorama est similaire pour les deux autres principales institutions européennes, la Commission et le Conseil, qui comptent maintenant une majorité de membres issus de la droite, voire de l’extrême droite (Italie, Hongrie).
Bien que la crainte d’une alliance entre le centre droit (PPE) et les forces de l’extrême droite ne se soit pas matérialisée, le déplacement sans précédent de l’équilibre des pouvoirs vers la droite pourrait se refléter dans le nouveau cycle politique de l’UE, et potentiellement le façonner. Malgré les déclarations publiques contrairesde la présidente de la Commission, la nouvelle administration pourrait être tentée de se déplacer à droite du PPE pour atteindre ses objectifs politiques.
En l’absence d’accord de coalition avec les principaux groupes politiques qui la soutiennent, la nouvelle Commission n’est ni politiquement engagée ni redevable envers son alliance pro-européenne. La porte reste alors ouverte à une coopération avec des forces politiques à la droite du PPE. Cela inclut non seulement les conservateurs de l’ECR, mais aussi les membres des groupes davantage à droite tels que Patriotes pour l’Europe et L’Europe des nations souveraines.
La combinaison des trois groupes de la droite dure, qui contrôlent désormais 187 sièges sur 720, pourrait représenter une nouvelle force puissante – presque irrésistible – pour l’UE dominée par le PPE, et cela en dépit de leurs profondes divergences sur des sujets-clés comme le soutien à l’Ukraine.
Regagner la confiance
Pour avoir un avant-goût de cette nouvelle réalité, il suffit d’observer comment la pression des groupes politiques d’extrême droite a mené la Commission sortante à s’affranchir de son projet phare : le pacte vert européen. La présidente sortante l’a fait non seulement pour regagner la confiance de son propre parti, le PPE, mais aussi celle d’un grand nombre de libéraux tels que le FDP allemand ou le président Macron demandant une « pause réglementaire européenne » sur le climat.
Ce rapprochement entre la Commission von der Leyen et l’extrême droite risque non seulement de ralentir la lutte contre le changement climatique, mais aussi de remettre en question la capacité du nouvel exécutif à concrétiser les objectifs politiques présentés aux citoyens européens et au Parlement. Le cordon sanitaire semble petit à petit se relâcher.
Cela ne devrait cependant surprendre personne puisque le phénomène s’est déjà produit dans plusieurs pays européens comme l’Italie, les Pays-Bas ainsi que, bien que de manière plus subtile, la France. On pouvait en outre s’y attendre étant donné les rapprochements de plusieurs leaders du PPE – notamment Ursula von der Leyen, Manfred Weber, président du groupe PPE, et Roberta Metsola, présidente du Parlement européen – avec des députés européens d’extrême droite alignés avec Giorgia Meloni. Avant les élections, le PPE n’avait d’ailleurs pas signé une déclaration des socialistes, des Verts, des libéraux et de La Gauche visant à tenir l’extrême droite à distance.
Cela aurait déjà dû alerter les partis traditionnels soutenant la future Commission von der Leyen, mais la situation actuelle devrait les inquiéter encore davantage. Celle-ci pourrait être plus réceptive aux demandes des groupes tels que l’ECR de Meloni et les Patriotes d’Orbán qu’à celles des partis politiques traditionnels, comme les Verts.
Et pourtant – contrairement à ce qu’ils avaient fait en 2019, lorsqu’ils s’étaient abstenus –, les Verts ont voté en faveur du second mandat d’Ursula von der Leyen. Ils ont présenté leur vote de soutien comme la seule action capable d’« empêcher que l’extrême droite ne dicte l’agenda de l’UE pour les cinq prochaines années ».
Cependant, l’inverse est en train de se produire, avec une extrême droite qui étend son influence bien au-delà de son poids réel. Que ce soit sur le climat ou l’immigration, l’agenda politique d’Ursula von der Leyen et de ses nouveaux commissaires semble plus aligné sur les demandes de l’extrême droite que sur celles promises à l’alliance pro-européenne prête à soutenir sa Commission.
Nouvelle politique migratoire
La dernière illustration en date vient de l’adhésion par la présidente à la politique des centres de déportation de migrants en Albanie mis en place par le gouvernement italien dirigé par Giorgia Meloni. Non seulement, il s’agit de l’introduction d’une nouvelle politique migratoire de l’UE par l’Italie, mais cela offre également un avant-goût de l’influence sans précédent des forces d’extrême droite sur la future Commission von der Leyen.
Dès lors, la procédure de nomination des nouveaux commissaires devant le Parlement européen devrait être l’occasion pour les députés – notamment issus des forces politiques pro-UE – d’exiger des éclaircissements de la part d’Ursula von der Leyen quant à la majorité politique sur laquelle elle entend s’appuyer pour cette législature. Malgré tout, il n’y a aucune garantie que les engagements pris par la nouvelle présidente envers la coalition pro-UE dominante puissent être maintenus. Bienvenue dans la nouvelle Europe.