Alberto Alemanno, juriste : “le Parlement européen a toujours résisté aux règles”

FRANCE 24 – Alberto Alemanno discusses the implications of the Qatargate scandal that has rocked the European Parliament over the last few weeks.

Cette nouvelle année européenne s’ouvre sous le signe de la présidence suédoise du Conseil de l’Union Européenne qui, avec son nouveau gouvernement de coalition, est soutenu par l’extrême droite eurosceptique des Conservateurs et Réformistes européens (CRE). Mais ce qui secoue le plus l’Union, c’est le scandale du Qatargate, dans lequel plusieurs députés européens sont mis en cause pour des faits de corruption. Pour en parler, “Ici l’Europe” reçoit Alberto Alemanno, titulaire de la chaire Jean Monnet de droit européen à HEC et fondateur de The Good Lobby. 

Le 1er janvier 2023, la Suède a pris la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, peu de temps après des élections qui ont vu se former un nouveau gouvernement de coalition mené par Ulf Kristersson et soutenu par le parti d’extrême droite des Démocrates de Suède, du groupe européen CRE. Certains craignent que l’euroscepticisme affiché de ce parti ne rejaillisse sur l’agenda européen pour les six prochains mois.

Mais Alberto Alemanno n’est pas si catastrophiste : “il ne faut pas survaloriser le rôle de la présidence tournante du Conseil. Le rôle du gouvernement suédois va simplement être de définir l’agenda, les questions à traiter, mais il va être tributaire de la position de la Commission et du Parlement européens ainsi que de tous les gouvernements”. Cet agenda risque d’être largement consacré à la réponse européenne dans le cadre de la guerre en Ukraine et la volonté de maintenir l’unité des Vingt-Sept sur la question, et “la Suède partage la position de tous les autres membres”.

Le Qatargate est en train d’ébranler toutes les institutions et le Parlement de Strasbourg en premier chef. La justice belge a arrêté, le 9 décembre dernier, l’eurodéputée socialiste grecque et vice-présidente de l’institution, Eva Kaili, pour des faits de corruption. L’enquête se poursuit et la présidente du Parlement européen a demandé la levée de l’immunité parlementaire de deux autres membres du Parlement, également du groupe Socialistes et Démocrates.

Selon Alberto Alemanno, “l’Union européenne dispose d’un système de contrôle éthique plutôt développé, plutôt sophistiqué”, mais le Parlement européen est “le maillon faible” de ce système d’intégrité, car il a “toujours résisté à la possibilité d’imposer à ses propres membres toute une série de règles”. Le juriste, qui a fondé l’organisme The Good Lobby, n’est pas réfractaire à l’idée de lobbying, mais il est temps pour lui d’établir des règles au sein du Parlement car “les différents membres du Parlement européen, ainsi que les fonctionnaires qui les soutiennent, sont sollicités de plus en plus par différents intérêts (…) qui, apparemment dans le cas du Qatar, sont disposés à verser des sommes et donc à passer du lobbying à la corruption (…) car on est bien là dans une situation de corruption”.

Ce qu’il qualifie de “plus gros scandale, ayant jamais éclaboussé une institution censée incarner l’exemplarité en matière de moralité publique” révèle que “le Parlement européen n’est pas lisible par l’électorat européen” car “ce type d’événement à un niveau national aurait été immédiatement saisi par la presse, par toute une série d’acteurs de la société civile qui exercent de manière permanente un contrôle sur leurs représentants. Et ce n’est pas le cas au niveau européen”.

“Chaque institution européenne a ses propres règles et son propre système d’application des règles, et cela a évidemment créé des divergences importantes qui, aujourd’hui, pourraient être dépassées”. Alberto Alemanno plaide depuis longtemps pour la création d’une autorité indépendante, insiste-t-il, de la transparence avec des pouvoirs d’enquête et de sanctions, afin de centraliser toutes ces compétences, “une autorité qui serait pour la première fois indépendante, composée par des anciens membres des institutions indépendantes, comme la Cour de justice de l’Union européenne ou encore la Cour des Comptes, et qui serait censée monitorer et veiller au respect des règles. Mais la question est de savoir quel type de pouvoir nous allons attribuer à cette entité.”

Émission préparée par Sophie Samaille, Isabelle Romero et Perrine Desplats