Opinion | L’éthique transparente et l’esprit du lobbying

LES ECHOS – Alberto Alemanno and Hugo Weber advocate for more transparent ethics in lobbying.

Le salut du lobbying passera uniquement par un excès de transparence, estiment Alberto Alemanno et Hugo Weber. C’est la condition sine qua non d’un exercice démocratique et sincère de ce cinquième pouvoir.

Le manque de transparence du lobbying est une arlésienne qui vient percuter les pratiques des nouveaux acteurs. Des entreprises assument pourtant pleinement cette pratique nécessaire pour nourrir la qualité des textes législatifs et réglementaires et considèrent aujourd’hui que la responsabilité de cette transparence doit être l’affaire de tous.

L’assemblée nationale vient d’avaliser le lancement d’une commission d’enquête parlementaire sur le scandale des Uber Files. Cette dernière sera chargée de produire des recommandations concernant l’encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d’intérêts. Plus largement elle questionne le rôle des lobbys dans la société.

Le lobbying est-il une activité malsaine ? Non, bien au contraire. Bien souvent, l’expertise des lobbyistes permet d’apporter une expérience et une connaissance nécessaires à la construction de politiques publiques efficaces.

Rôle de pédagogie

Aussi professionnels soient-ils, les législateurs n’ont que rarement été des spécialistes d’un secteur et il leur est indispensable de s’appuyer sur une connaissance métier de l’activité qu’ils régulent. Le lobbyiste joue donc un rôle important de pédagogie pour permettre à la loi de jouer pleinement son rôle de protection des citoyens et qu’aucun acteur n’en tire un avantage compétitif.

À mesure que la loi se complexifie, le lobbying est devenu un cinquième pouvoir. Il n’est plus rare de voir des amendements rédigés par des représentants d’intérêts déposés directement sans avoir été revus au préalable. Bien sûr le transfert de compétences de la rédaction de la loi en dehors de la sphère publique interroge, a minima.

Pour autant, le salut du lobbying passera uniquement par un excès de transparence. C’est la condition sine qua non d’un exercice démocratique et sincère de ce cinquième pouvoir. C’est aussi la seule manière pour dissiper les doutes sur l’immixtion du secteur privé dans la rédaction de la loi.

Ethique et morale individuelle

Il faut saluer les efforts menés en ce sens par la Haute Autorité de la Transparence de la Vie Publique (HATVP) qui avalise la nomination des membres du gouvernement en les obligeant à jouer carte sur table afin de limiter les conflits d’intérêts. Il faut aussi souligner le travail de cartographie des 2.500 représentants d’intérêts répertoriés.

Pourtant va-t-elle assez loin et peut-elle faire plus ? Au regard de ses moyens actuels, cela semble difficile. Mais il en va également de l’éthique et de la morale individuelle de chaque lobbyiste, de chaque organisation et de chaque législateur.

Au-delà de la simple publication de ses actions et moyens engagés dans la représentation d’intérêts, la profession – dans son ensemble – gagnerait à faire l’exégèse de ses activités en publiant de manière volontaire l’ensemble des rendez-vous réalisés, un compte rendu synthétique des discussions ou encore les amendements transmis.

Empreinte législative

De l’autre côté de la barrière, il pourrait être intéressant de sensibiliser le législateur à cette même rigueur et l’obliger à ne rencontrer que des représentants d’intérêts déclarés ; voire à publier l’ensemble des rencontres avec ces derniers.

Par exemple, il pourrait être intéressant d’ajouter une empreinte législative, c’est-à-dire une liste indicative (jointe à un rapport parlementaire), des représentants d’intérêts qui ont été consultés et ont eu un rôle important durant la préparation d’une proposition du gouvernement et/ou du parlement.

Il est clair que la succession de ces scandales de trafic d’influence et de corruption ne fait qu’entacher la crédibilité et détourner les citoyens de la chose publique. Législateurs et représentants d’intérêts devrons donc oublier l’adage « pour vivre heureux, vivons cachés » et pécher par excès de transparence.

Alberto Alemanno, Professeur à HEC Paris et fondateur de The Good Lobby

Hugo Weber, Directeur des affaires publiques, Mirakl.