Djebbari et les guerres d’ego — Amazon tranquille — Sapin 2 Noël
POLITICO PARIS Influence – Les manœuvres du gouvernement pour épargner Amazon. Couac de la nouvelle Agence de l’Innovation pour les Transports:Bercy accuse Jean-Baptiste Djebbari de la jouer solo. Entretien avec Guillaume Courty, universitaire qui dézingue sur la loi Sapin 2.
— Les manœuvres du gouvernement pour épargner Amazon (et ses emplois) dans la loi climat.
— Couac de la nouvelle Agence de l’Innovation pour les Transports: Bercy accuse Jean-Baptiste Djebbari de la jouer solo.
— Entretien avec Guillaume Courty, universitaire qui dézingue sur la loi Sapin 2
En chambre
EXCLU TAMBOUILLE. Paris Influence a réalisé le rêve d’une vie en s’immisçant telle une souris dans une réunion interministérielle sur la loi climat, grâce à un enregistrement audio auquel nous avons eu accès. Ces deux heures de “RIM”, comme on dit dans le jargon, permettent de voir comment Matignon et les ministères s’agitent en coulisses pour éviter que les parlementaires ne fassent un peu trop bien leur travail en amendant le texte. On y distribue les veto aux députés du même bord ou on consent à des faveurs aux alliés pour mieux “taper” ailleurs.
La réunion portait sur le moratoire à l’artificialisation des sols, dont sont exclus à l’heure actuelle les entrepôts logistiques et donc les acteurs du e-commerce comme Amazon, malgré un avis initialement favorable de la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili. L’examen en commission a déjà donné lieu au rejet de nombreux amendements visant à imposer de telles restrictions à ces projets. Et Amazon peut dormir tranquille: selon les arbitrages de la RIM, le gouvernement s’opposera à tout nouvel amendement en ce sens en séance, fut-il cosigné par des voix fortes de la majorité comme Laurianne Rossi ou Yaël Braun-Pivet.
Explication de texte avec l’un des participants qui a accepté de nous répondre : “Bercy est prêt à défendre sa position mordicus parce qu’on a un sujet d’attractivité : un centre commercial, tu vas pas aller le faire à l’étranger si on te dit non, tandis qu’un entrepôt, tu peux aller le mettre à la frontière et envoyer des camions”, explique-t-il.
Jurant que le lobbying d’Amazon ou des acteurs de la logistique n’est en rien responsable de cette position inflexible, il estime que c’est plutôt la perspective de dumping à un an des présidentielles et d’une crise économique qui l’emporte. Et ce notamment sur les considérations environnementales, comme nous vous l’expliquons avec ma consœur Laura Kayali dans notre article pour les abonnés POLITICO Pro.
Les centristes sont logés à la même enseigne, même s’il faut parfois accepter un mauvais amendement pour le jeu politique: “Il faut qu’on en prenne un maximum [du MoDem] pour pas qu’ils nous emmerdent sur les entrepôts”, explique ainsi le conseiller de Matignon chargé d’animer la RIM. Quant à Agir, “on peut [leur] faire plaisir un petit peu car on leur fait du mal par ailleurs, donc favorable au 3158 et 3234.”
A moins d’une surprise de taille à l’Assemblée, dont le gouvernement s’attend à ce qu’elle suive docilement ses positions à chaque vote, le texte devrait peu bouger cette semaine. Rendez-vous ensuite au Sénat, où un représentant d’intérêt d’association environnementale regrette déjà que les lobbyistes œuvrant pour les acteurs de la logistique aient “verrouillé” les débats — affaire à suivre.
Dans les couloirs des ministères
JB JOUE SOLO. Le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari a pris tout le monde de cours en annonçant jeudi dernier la création d’une Agence de l’Innovation pour les Transports. Et plus particulièrement ses collègues de Bercy, qui inauguraient vendredi un appel à manifestation d’intérêt dans le domaine ainsi que le lancement d’un comité d’orientation de la recherche et développement et de l’innovation du ferroviaire, après des mois de travaux.
Y a pas moyen Djédjé. “Certaines personnes sont tombées de leur chaise”, explique-t-on au ministère de l’Économie, où les sujets sont notamment portés par Agnès Pannier-Runacher et la direction générale des entreprises. “De toute évidence on a quelqu’un qui ne joue pas très collectif et s’arroge le travail des autres, c’est sans doute le seul ministre du gouvernement qui aujourd’hui se distingue par ce type de pratique”, persifle cette même source. Contacté, le ministère des transports se dit “dans une démarche qui se veut partenariale et ouverte” et en coopération étroite avec les ministères concernés. Au milieu du psychodrame, une source de l’industrie se veut philosophe : “Au moins chacun s’intéresse à nos sujets.”
PRÊTS POUR LE COVID-22. Matignon a demandé au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale de revoir la copie du plan de réponse aux crises sanitaires majeures des ministères, d’après une source interne. Les travaux pour un nouveau “plan générique commun à l’ensemble des maladies infectieuses hautement pathogènes” commenceront le 16 avril. Yannick Morel, ingénieur en chef de l’armement, a été mis à disposition du directeur général de la santé Jérôme Salomon et de son adjoint pour venir en appui à la planification des travaux.
METTRE LA PFUE AVANT LES BŒUFS. La direction générale de la santé a demandé des renforts pour travailler sur la présidence française du Conseil de l’Union européenne, d’après une source interne au ministère. Le ministre Olivier Véran co-préside déjà la réunion de lancement des travaux ce 14 avril.
L’AMÉRIQUE, L’AMÉRIQUE… Ils veulent l’avoir mais l’auront-ils ? Les équipes du Quai d’Orsay rêvent d’annoncer autour du 14 mai que les Etats-Unis rejoignent l’appel de Christchurch, l’initiative lancée par la France et la Nouvelle-Zélande après l’attentat perpétré dans la ville, pour lutter contre la propagation des contenus terroristes en ligne, d’après une source interne.
Paris veut croire que les événements du Capitole ont fait bouger les lignes de Washington pour inclure le terrorisme d’extrême droite dans le périmètre des travaux, qui se concentrent aujourd’hui sur le terrorisme islamiste. Une source du secteur tech raille gentiment l’ambition en soulignant le rapport différencié des deux pays sur la liberté d’expression : “J’attends avec impatience une définition des harmful contents [contenus dangereux, ndlr] américaine qui s’accorde avec celle de la France.”
Le Zoom de la semaine
FURAX. Guillaume Courty, professeur de science politique à l’université de Lille 2, auteur du Lobbying en France, n’a pas été convié aux auditions parlementaires censées faire le bilan de la Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (abrégée en Sapin 2), menées en ce moment à l’Assemblée. “La dernière fois que je suis intervenu, je n’avais pas été particulièrement diplomate avec les élus, je n’ai pas l’habitude de l’être”, souligne-il avec malice. Paris Influence lui a tendu le micro et chacun en a pris pour son grade.
Les politiques… S’il y a des “marlous” parmi les lobbyistes, il y a aussi une “asymétrie dans la loi” dont bénéficient les politiques, nous dit le chercheur. Le président de la République n’est pas dans la liste des décideurs visés par la loi, la publication des personnes entendues dans le cadre de l’élaboration d’un texte n’est toujours pas en annexe d’un texte (c’est une obligation depuis 2008), et celle des agendas des politiques reste une option. “On est encore dans un monde où les politiques sont les adultes et ils sont au-dessus de la loi, et les lobbyistes sont les mineurs dont il faut contrôler chacun des gestes”, résume le chercheur, qui se moque de ceux qui lui ont longtemps juré que “la France était inoculée contre le virus du lobbying”.
Les avocats… comptent parmi les mauvais élèves en matière de déclaration à la Haute Autorité de la Transparence pour la Vie Publique (HATVP), malgré un rôle récurrent en matière de lobbying: 4,7% d’entre eux ne font pas leurs déclarations, d’après l’analyse de la base de données de Guillaume Courty, comparé à 0,1% pour les consultants en lobbying.
Les régulateurs… Courty préconise de “combler les trous de la raquette” de la loi : faire entrer les cultes, les associations d’élus, les syndicats au sein du registre de la HATVP et obliger toute interaction à être déclarée. La base de données de l’autorité doit être mobilisée pour repérer les excès plutôt que d’être “une usine à gaz et n’attraper personne” ou encore “une base de données mortes”. Son rôle selon Courty ? Aider à alerter ou faire de la pédagogie pour les citoyens, les élus et le secteur.
Transparence et Mercato
GOOGLE FLAMBE EN FRANCE: L’entreprise a dépassé ses camarades et concurrents en frais de lobbying, dépensant entre 1 et 1,25 million d’euros l’année dernière, d’après sa déclaration à la HATVP et celles des géants du numériques analysées par ma collègue Laura Kayali. Google a fait appel en 2020 à au moins cinq cabinets (Publicis Consultants France, Image 7, JIN, Garnault & Associés et CommStrat) dont les contrats ont tous été renouvelés pour 2021 selon la Lettre A. Son équipe interne d’affaires publiques devrait aussi passer de 6 à 9 employés, avec un renforcement notamment sur les sujets cloud, d’après une source interne.
Le reste du podium : Microsoft n’est pas loin derrière, avec entre 900 000 et un million d’euros déclarés pour la période juillet 2019 à juin 2020. C’est ensuite Amazon — entre 800 000 et 900 000 euros déclarés pour l’année 2020 —, Facebook — entre 600 000 et 700 000 euros — et enfin Apple — entre 200 000 et 300 000 euros pour la période allant d’octobre 2019 à novembre 2020 — qui viennent clore le classement. Twitter n’a tout bonnement pas déclaré ses activités de lobbying de l’année dernière, d’après la HATVP.
THE GOOD LOBBY se lancera en France en fin de semaine, d’après une source interne. L’organisation bruxelloise créée par Alberto Alemanno, professeur à HEC Paris et spécialiste de droit européen, aide en pro bono ou à moindre coût les acteurs moins représentés dans les débats. Elle s’appuiera sur le cabinet de conseil en plaidoyer Koz pour mobiliser l’équipe de lobbyistes bénévoles, et sur un conseil des sages composé de chercheurs et d’experts de l’économie sociale et solidaire.
ACCOR, D’ACCORD L’ancienne secrétaire d’Etat à la Transition écologique Brune Poirson rejoindrait Accor en tant que directrice du développement durable, d’après le JDD. Celle qui appelait aussi à “penser le post-capitalisme” a démissionné en cours de mandat de ses fonctions de députée, où sa participation, une fois sortie des ministères, était restée pour le moins discrète.
Mathias Pigeat est nommé directeur juridique de l’Autorité de la concurrence, après avoir été directeur de cabinet de la présidente des affaires européennes et internationales du régulateur. Il succède à Juliette Théry-Schultz.
Où croiser…
Roselyne Bachelot sera auditionnée par le Sénat ce mardi à 14 heures, marquant son retour sur les bancs depuis son hospitalisation due au COVID-19.
Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, participera à une table ronde de l’IFRI de 16h30 à 18 heures ce mardi, sur invitation seulement.
Marlène Schiappa et la conseillère de Paris LR Nelly Garnier débattront de la “marque Macron” avec l’auteur de l’essai sur le sujet, Raphaël Llorca, lors d’un débat animé par Usbek & Rica ce soir à 18 heures. A suivre sur Zoom ou la page Facebook du média.
Laura Kayali et Louise Guillot, nos remarquables reporters tech et développement durable, animeront ce mercredi à 14 heures un briefing call de POLITICO sur la loi Climat française et le Green Deal européen, qui aura lieu ce mercredi 14 avril. Inscriptions ici.
Thierry Breton sera à Paris ce vendredi où il sera reçu par le Premier ministre Jean Castex. Pour les bretonistes de l’extrême et/ou passionnés par les enjeux liés aux flux de données transatlantiques, une conférence de haut niveau est aussi à suivre ce jeudi à 15 heures avec le commissaire et Christopher Hoff, à la tête des négociations au sein du Département américain du commerce sur le Privacy Shield, l’accord de partage de données transatlantique en souffrance.
Michel Barnier, Clément Beaune, Xavier Bertrand, Alexandre Holroyd … feront partie des nombreux invités d’un colloque sur le Brexit organisé par la ville du Touquet ce vendredi.
À lire, voir, écouter…
La jeune garde des lobbyistes français veut croire à l’arrivée d’une nouvelle ère, où éthique, transparence, technicité effaceraient les pratiques moins réjouissantes d’antan. Pas si vite, explique la Revue Charles, la nouvelle n’est pas encore arrivée partout.
Puisque la France n’est pas dans les clous du droit communautaire en matière de conservation de données personnelles, elle suggère rien de moins que de changer les traités européens ou bien la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans des notes transmises au Conseil d’Etat que ma collègue Laura Kayali a pu consulter. A lire ici (pour les abonnés de POLITICO Pro).